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Politiques agroalimentaires et la faim dans le monde: zoom sur Haïti

Faut-il prioriser la production agricole à l’environnement dans une politique agricole?

4 Juin 2016 , Rédigé par Jude DIMANCHE Publié dans #Opinion et actualité

Ce papier découlant d'un travail académique constitue une reflexion sur les differentes approches économiques du developpement durable. Il oppose les tenants du principe de durabilité faible a ceux du principe de durabilité forte. 

Introduction et mise en contexte

Dans les débats politiques nationaux et internationaux, présentement, les préoccupations environnementales ont pris une place prépondérante. Les problèmes environnementaux provoquent, ainsi, l'inquiétude de l'opinion publique. Les préoccupations actuelles s'inscrivent désormais dans les choix politiques et économiques. La question de la protection de l’environnement est devenue un thème majeur de réflexion. Ces réflexions ont même abouti à la rédaction du rapport de Brundtland (1987) soulignant la nécessité de concilier croissance économique avec la préservation de l’environnement. Cependant, nombre des critiques soulèvent la complexité de faire la conciliation entre la croissance économique (l’augmentation de la production agricole) et la protection de l’environnement (Vallée, 2007).

En effet, le mode de production agricole dominant considéré comme l’un des facteurs majeurs de la dégradation de l’environnement maintient les débats. Le problème de la dégradation de l’environnement considéré comme conséquence du productivisme par les tenants des mouvements écologistes, soutenu par la théorie de la décroissance Meadows (1972) pose la difficulté d’allier la croissance économique à la préservation de l’environnement. Faisant appel à l’état dans l’exercice de sa fonction allocative comme le préconise Musgrave (1959) dans sa théorie de finance publique, certains courants pensent qu’il est nécessaire que l’intervention de l’état doive prioriser la croissance économique (production) et d’autres estiment que la protection de l’environnement devrait être prioritaire.

Le courant soutenant la priorité de la croissance économique (Paillard, S Treyer, B Dorin – 2010) s’appuie notamment sur la nécessité de freiner la pauvreté, d’accroitre le bien-être des populations en particulier, le défi de nourrir une population mondiale sans cesse croissante. En ce sens, les débats alignent la plupart du temps les tenants de la préservation de l’environnement contre le productivisme agricole.

À partir de certaines théories et de certains arguments empiriques, ce travail propose de montrer que la croissance économique, particulièrement, la production agricole devrait être prioritaire s’il est vraiment incompatible de concilier la croissance économique (production agricole) avec la préservation de l’environnement. La démarche conduisant à soutenir cette position sera étayée en deux étapes. La première étape consistera à poser la problématique. La deuxième étape présentera les théories, puis des arguments empiriques. En conclusion, on présentera le côté mitigé de cette position suivant le type de dégradation environnementale et selon le stade de développement.

II- Problématique

La place et le rôle de l’agriculture évoluent dans le système économique avec les différents courants de pensée économiques. Le rôle premier de l’agriculture a été de satisfaire les besoins alimentaires. Puis, le rôle économique de l’agriculture dans l’offre de nourriture, de l’emploi, le commerce et la croissance a fait l’objet de l’évolution de la pensée économique. La croissance de la population mondiale est un défi auquel l’agriculture doit répondre dans sa mission principale d’assurer l’alimentation humaine. Pour reveler le défi de nourrir le monde plusieurs systèmes de production agricole ont été mise en place, notamment le système d’agriculture de subsistance, le système d’agriculture extensive et le système d’agriculture intensive.

Le système d’agriculture de subsistance ou vivrière est une agriculture essentiellement tournée vers l'autoconsommation et l'économie de subsistance. Elle est, depuis des temps immémoriaux, la forme d'agriculture la plus répandue dans le monde faisant appel à la connaissance populaire. Ce mode d'agriculture est prépondérant dans les pays en voie développement et représente environ 80 % de l'agriculture de ces pays (Lwoga, 2010). Cette forme de production agricole est caractérisée par la polyculture-élevage n’arrive pas souvent à atteindre son but de l'autosuffisance alimentaire des populations à cause de la baisse croissante de la productivité des sols due à la répétition séculaire des pratiques culturales inadéquates (Desrochers, 2010). Selon le PAM (2008), deux milliards d’habitants des pays du Sud pratiquent une agriculture vivrière qui les nourrit difficilement. En effet, les petits agriculteurs et éleveurs constituent 80 % du milliard de personnes sous-alimentées de la planète. Dans ce type d’agriculture, le travail est essentiellement manuel, et l’usage de machines, d’engrais pour fertiliser le sol et de produits chimiques pour lutter contre les parasites est très limité. Dans ces conditions, les rendements sont faibles pour un travail souvent pénible. Généralement, la surface cultivée est petite et le matériel agricole réduit, il est peu productif en étant très dépendant le plus souvent du climat, mais est réputé d’avoir moins d’impact sur l’environnement.

L'agriculture extensive est une agriculture dont la production est faible par rapport à la surface cultivée. Pratiquée généralement sur de vastes étendues, elle se caractérise par des rendements à l'hectare relativement faibles et par un plus grand nombre d'emplois par quantité produite, mais avec des revenus parfois très bas, dans les pays pauvres notamment. Plusieurs formes d'agriculture extensive sont distinguées. Dans les pays en voie de développement, on identifie une forme traditionnelle utilisant des moyens techniques limités et une main-d'œuvre relativement nombreuse. Sa forme moderne, très mécanisée faisant appel à une faible utilisation de pesticides et d’engrais chimique, est pratiquée dans les pays industrialisés qui disposent d'immenses étendues de terre, notamment en Amérique du Nord ou en Asie centrale (Kazakhstan), mais ont souvent une main-d'œuvre limitée. La dernière forme observée est celle visant la protection voire la restauration de la biodiversité (avec ou sans mesures agroenvironnementales) et cherchant notamment pour cela à limiter l'eutrophisation du sol et de l'eau. L’utilisation moindre d’engrais et de pesticides diminue le risque de pénétration des nutriments et pesticides dans les eaux de surface et la nappe phréatique. Toutefois, l’effet réel de l’utilisation des facteurs sur l’environnement ne dépend pas uniquement du volume de ceux-ci, mais également de leur méthode d’application. De plus, il parait que ce système ne peut pas répondre aux besoins de la sécurité alimentaire à cause de son faible rendement et de la diminution des surfaces cultivables. Selon la FAO, les terres cultivées couvrent actuellement 1 550 millions d’hectares dans le monde. 120 millions d’hectares (qui se situent surtout en Amérique du Sud et en Afrique) viendront encore s’y ajouter d’ici 2030 et, ensuite, plus rien. Les nouvelles mises en culture compenseraient alors tout juste les terres abandonnées (3,5 millions d’hectares par an) et celles qui seront affectées à l’urbanisation (2 millions d’hectares). Car les terres encore disponibles, mais de bonnes qualités se font rare, surtout si on veut protéger les grandes forêts tropicales bien utiles pour préserver l’équilibre climatique et la biodiversité.

En rescousse au système agricole extensive, s’est développé un système intensif caractérisé par l’optimisation de la production par rapport à la disponibilité des facteurs de production (moyens humains, matériels et surfaces cultivées). Ce rapport entre volume produit et facteur de production, appelé productivité, lui a valu péjorativement le nom de productivisme agricole. De manière générale, le productivisme est considéré comme un système d'organisation de la vie économique dans lequel la production est donnée comme objectif premier pour atteindre la croissance économique dans le but d’une amélioration du bien-être d’une population. Selon Fouilleux et collaborateurs (2012), définir le productivisme agricole n’est pas chose aisée tant on risque de tomber dans la caricature. Piège dans lequel tombent par exemple les travaux qui tentent de le définir en creux par la description de segments professionnels agricoles qui en incarneraient une alternative. D’après Prével (2008), ce concept est d’autant plus difficile à définir que la critique sociale attachée à cette notion une forte connotation péjorative. Il nous semble qu’à elle seule, la recherche du rendement maximum des produits de la culture et de l’élevage ne saurait suffire à caractériser cette forme d’agriculture. Usuellement, en agriculture, le productivisme est étroitement lié aux processus de modernisation qui, tout au long du XXe siècle, ont transformé l’agriculture des pays industrialisés par la diffusion d’innovations techniques et une rationalisation de la production permettant d’accroître considérablement la productivité du travail. Ce système de production agricole repose sur l'usage optimum d'engrais chimiques, de traitements herbicides, de fongicides, d'insecticides, de régulateurs de croissance. Il fait appel aux moyens fournis par la technique moderne, machinisme agricole, sélection génétique, irrigation et drainage des sols, culture sous serre et culture hors-sol, etc. Il cherche donc à profiter des progrès techniques permis par l'avancée des connaissances agronomiques et scientifiques.

Ce mode de production assure un rendement des cultures important, ce qui permet de nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse, mais il est reproché à ce système d’avoir de nombreuses externalités négatives sur l’environnement. En effet, ce système de production agricole pollue les sols, les nappes phréatiques et cours d'eau souterrains. Les eaux polluées par les substances chimiques et organiques utilisées dans l'agriculture intensive s'infiltrent dans le sol, ruissellent, pour atteindre les nappes phréatiques, les cours d'eau souterraine et les rivières avoisinantes. Le traitement des eaux polluées par les nitrates et les produits phytosanitaires, notamment, est très coûteux, et son efficacité est limitée Barbier et al. (1999). Le traitement des eaux ne peut pas anéantir toutes les substances chimiques ou organiques utilisées dans l'agriculture intensive, qui se retrouvent au final dans l'environnement. L'eau est durablement polluée, dégrade, voire détruit la biodiversité présente dans les sols et les cours d'eau, et ne peut pas être consommée par l'homme sans être traitée, sous peine de maladies hydriques graves, qui peuvent s'avérer mortelles. On reproche également à l'agriculture intensive de contribuer à la désertification des sols. Le recours à l'agriculture intensive apparaît cependant indispensable, notamment afin de contribuer à la résolution de la crise alimentaire mondiale qui sévit depuis 2007 (Momagri, 2013). Aujourd’hui, selon le PAM (2015), le niveau de l’insécurité alimentaire est historiquement à son plus bas niveau grâce à la croissance de la production agricole. En effet, la quantité de personnes sous-alimentées passe de plus d’un (1) milliard en 1990 à 795 millions. Cette baisse de l’insécurité alimentaire est attribuée à l’intensification de la production agricole selon la FAO. Cependant, ce modèle de production soulève des débats au regard de sa contribution à la dégradation de l’environnement.

En effet, depuis le dernier quart du XXe siècle et le début du XXIe s’est imposée progressivement la conscience d’une crise écologique d’origine anthropique inédite. Les multiples pollutions, de l’air, de l’eau, des sols, la diminution de la diversité biologique, l’épuisement à brève échéance des ressources naturelles non-renouvelables, notamment des ressources énergétiques d’origine fossile, le réchauffement climatique à cause d’une trop grande émission de gaz à effet de serre, ont atteint un point tel que les équilibres naturels sont perturbés et que les conditions de la vie sont hypothéquées (Harribey, 2007). La rédaction du rapport de Brundtland en 1987 marque un tournant dans la façon de voir la croissance économique. Ce rapport plaide en faveur d’une conciliation entre la croissance économique et la protection de l’environnement. Conscient du problème de la dégradation de l’environnement, le concept du développement durable développé par cette commission a été accueilli dans sa définition intégrée à l’unanimité -un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs – par tous les acteurs y compris les économistes, mais fait l’objet d’une controverse dans sa mise en œuvre (Zaïra, 2002). Ainsi, deux grands paradigmes partagent nommément le concept de développement durable : le paradigme de durabilité forte associé à la théorie de la «décroissance » et celui de durabilité faible attribuée à la théorie de la croissance dans le sens du néolibéralisme classique. Bien qu’il n’existe pas un corpus cohérent théorisant la décroissance, ce paradigme est entendu comme une diminution de la production, il en résulte une dénonciation catégorique du développement « durable », « soutenable », « humain » ou associé à un quelconque autre qualificatif (Harribey, 2007). Selon le paradigme de durabilité faible, il est possible de faire une croissance durable, c’est-à-dire d’augmenter la production tout en ayant un comportement respectueux de l’environnement.

Le problème de la dégradation de l’environnement considéré comme conséquence du productivisme par les tenants des mouvements écologistes, soutenu par la théorie de la décroissance Meadows (1972) pose la difficulté d’allier la croissance économique à la préservation de l’environnement. Faisant appel à l’état dans l’exercice de sa fonction allocative pour améliorer le bien-être de la population comme le préconise Musgrave (1959) dans sa théorie de finance publique, certains courants pensent qu’il est nécessaire que l’intervention de l’état doive prioriser la croissance économique (production) et d’autres estiment que la protection de l’environnement devrait être prioritaire. Ceux jugeant important de prioriser la croissance économique (Paillard, S Treyer, B Dorin – 2010) s’appuient notamment sur la nécessité de freiner la pauvreté, d’accroitre le bien-être des populations en particulier, le défi de nourrir une population mondiale sans cesse croissante. En ce sens, les débats alignent la plupart du temps les tenants de la préservation de l’environnement contre le productivisme agricole. Faut-il prioriser l’agriculture ou la préservation de l’environnement ? Dans le cas où il n’est pas possible de concilier l’augmentation de la production agricole à la protection de l’environnement, je soutiens que la hausse de la production agricole doit être prioritaire. Les lignes qui suivent présentent les arguments qui montrent le bien-fondé de prioriser l’augmentation de la production, notamment, la production agricole. Avant de présenter les argumentaires relatifs à la priorisation de l’augmentation de la production agricole, il parait important de définir la croissance économique et de présenter son évolution dans le temps, puis de définir certains concepts importants permettant de bien mener la discussion.

III- Cadre conceptuel

3.1- Définition de la croissance économique

François Perroux définit la croissance économique comme étant l'augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues, d'un indicateur de dimension : « Le produit global net en terme réel ». La définition de Simon Kuznets va au-delà et affirme qu'il y a croissance lorsque la croissance du PIB est supérieure à la croissance de la population. La croissance économique et le bien-être matériel collectif sont généralement associés. À court terme, il est assez peu discutable que la croissance économique détermine le niveau du bien-être social ; si la croissance est faible, le chômage augmente, les revenus ont tendance à stagner, les contraintes sur la consommation deviennent plus fortes et, au total, le niveau de bien-être est, en moyenne, plus faible que dans les périodes de croissance forte de l’économie et des revenus (Cornilleau, 2006). La croissance économique désignant la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée est une condition nécessaire au développement, mais pas toujours suffisante.

3.2- Evolution de la croissance économique

La pensée économique et d’histoire des faits économiques, font remonter les origines de la croissance à Ricardo et Marx affirmant que la croissance économique était limitée. Les modèles théoriques de la croissance connaissent un véritable succès au XXe siècle et dans les années 50. Les modèles post-keynésiens (Harrod-Domar) et néoclassiques (Solow) ont introduit un véritable débat sur la question de la croissance équilibrée. Sous l’impulsion des théoriciens de la régulation et de la croissance endogène, ce concept a connu un nouvel essor dans les années 70-80. Depuis plus de deux siècles, les économistes s’interrogent sur les causes de la croissance. Adam Smith, Thomas Malthus, David Ricardo et Karl Marx sont les véritables précurseurs de cette réflexion.

Adam Smith (1776) met en évidence le rôle de la division du travail (surplus, marché, gains de productivité) comme facteur de croissance. Cette division du travail se trouve renforcée par la participation du pays au commerce international (théorie des avantages absolus). L’optimisme de Smith apparaît à travers les traits d’une croissance illimitée (elle dure tant que l’on peut étendre la division du travail et le marché). Thomas Malthus (1796) considère que la croissance est limitée en raison de la démographie galopante. Il attribue la misère en Angleterre au décalage entre deux lois : la loi de progression arithmétique des subsistances et la loi de progression géométrique. La sortie de cet état passe par la mortalité, la baisse de la natalité et le célibat. Le développement de l’agriculture avec l’augmentation de la productivité a donné tort à la prédiction de Malthus. Mais également à celle de David Ricardo (1817), qui pronostiquait que, en raison de la diminution des rendements agricoles consécutive à la mise en culture de terres de moins en moins fertiles pour répondre aux besoins d’une population croissante, les rentes versées aux propriétaires fonciers augmenteraient, les prix agricoles et les salaires ouvriers également, et au bout du compte, les profits capitalistes seraient entraînés à la baisse : les capacités d’investissement se raréfiant, le capitalisme était condamné à l’état stationnaire. Afin de retarder l’état stationnaire de l’économie, Ricardo préconise d’augmenter les gains de productivité dans l’agriculture grâce au progrès technique et de s’ouvrir au commerce international (théorie des avantages comparatifs). Ne reposant pas seulement sur le progrès technique, l’analyse de Schumpeter (1942) fait du progrès industriel la clé du changement en introduisant le facteur d’évolution des connaissances ou les grandes inventions : « L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de la consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle – tous éléments créés par l’initiative capitaliste ». Ainsi donc, les limites imposées à la croissance économique ont été récusées. Cependant, la croissance a été remise en cause par l’écologie politique, à cause des menaces qu’elle fait peser sur l’environnement, sur leur capacité d’intervention politique. Les problèmes de natures multiples et variés de l’environnement comme la pollution, la déforestation, l'extinction de la biodiversité, le rejet des déchets toxiques, les érosions des sols, la désertification ont conduit les théories économiques à considérer les effets des activités économiques sur la dégradation de l’environnement dans leurs modèles. La considération de l’environnement dans la croissance économique a été prise en compte en introduisant les progrès techniques permettant de repousser les limites de la croissance et en résolvant les problèmes sociaux et environnement par la prise en compte des externalités négatives dans le calcul économique.

3.3- Dimension environnementale de la croissance économique

Le rôle de l’État dans la croissance économique et la répartition des ressources d’un pays fait depuis longtemps l’objet de controverses entre économistes, selon qu’ils sont plutôt favorables à un État neutre ou, au contraire, à un État interventionniste, fortement impliqué dans les sphères économique et sociale. Quel que soit la forme ou le rôle attribué à l’État la finalité est toujours de favoriser, le bien-être de la population. Au début du XIXe siècle, les économistes libéraux dits "classiques", comme Adam Smith, ne prêtaient à l’État, pour l’essentiel, que des fonctions régaliennes (diplomatie, sécurité extérieure et intérieure, justice). Le marché tendant naturellement à s’autoréguler, la suppression des barrières aux échanges et à la libre concurrence, devaient conduire à une répartition optimale des ressources. Cependant, les développements des économies de marché, et les événements marquants du XXe siècle ont progressivement confié de nouveaux rôles à l’État.

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, le rôle de l’État a été étendu. Selon les justifications théoriques des économistes néoclassiques, l’État doit intervenir pour créer, puis faire respecter les conditions d’une concurrence pure et parfaite (libre entreprise, liberté de déplacement du capital et du travail, transparence de l’information, comparabilité des produits et présence de suffisamment de producteurs et d’acheteurs sur chaque marché pour que les prix s’imposent aux agents économiques, ce qui suppose notamment l’absence de monopole). Les développements de la micro-économie, suggérèrent un accroissement du rôle de l’État. Ainsi, avant la Première Guerre mondiale, les économistes de l’École du bien-être, comme Alfred Marshall (1842-1924) et Cecil Pigou (1877-1959), ont considéré que l’État devait intervenir, par le biais de taxes, de subventions ou de réglementations, en présence d’externalités négatives comme la pollution, ou positifs comme la recherche. Mais aussi, que l’État devait financer par l’impôt certains biens ou services, comme les "biens publics" tels que l’éclairage des rues, qui ne pourraient être spontanément produits par le marché. À la suite de la crise de 1929, de nombreux économistes inspirés par les travaux de J.M Keynes, vont s’interroger sur les possibilités d’une croissance équilibrée. Les modèles de Domar et Harrod vont chercher à rendre compte des conditions et caractéristiques essentielles de l’équilibre d’une économie capitaliste en croissance. La croissance économique est à l’ origine de la création des richesses matérielles qui sont utiles au bien-être permettant d’augmenter les dépenses publiques et privées pour améliorer les conditions de vie : dépenses en infrastructures (hôpitaux, écoles…), redistribution des richesses pour limiter les inégalités et la pauvreté, création d’emplois, etc. Les pays les plus riches sont souvent aussi les plus développés.

3.4- Bien-être et pauvreté

Le bien-être est considéré comme un état lié à différents facteurs considérés de façon séparée ou conjointe : la santé, la réussite sociale ou économique, au plaisir, à la réalisation de soi, à l'harmonie avec soi et les autres. Le terme de bien-être renvoie à deux dimensions principales : une dimension physique et une dimension psychologique. La dimension physique du bien-être se réfère à la sensation d'une bonne santé physiologique générale, d'une satisfaction des besoins primordiaux du corps, comme le besoin de se nourrir. La seconde dimension faite référence au bien-être psychologique qui est issu d'une évaluation personnelle et subjective. Laquelle peut provenir de perceptions ou de satisfactions diverses, financières, professionnelles, sentimentales, mais aussi de l'absence de troubles mentaux.

La pauvreté est un terme caractérisant la situation d’un individu, d'un groupe de personnes ou d’une société qui ne dispose pas des ressources suffisantes pour lui permettre de satisfaire ses besoins fondamentaux et se développer normalement. Dans le rapport Vaincre la pauvreté humaine (2000) du PNUD, un encadré définit spécifiquement l’« extrême pauvreté », la « pauvreté générale » et la « pauvreté humaine ». Ainsi, « une personne vit dans la pauvreté extrême si elle ne dispose pas des revenus nécessaires pour satisfaire ses besoins alimentaires essentiels – habituellement définis sur la base de besoins caloriques minimaux […]. Une personne vit dans la pauvreté générale si elle ne dispose pas des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins essentiels non-alimentaires – tels, l’habillement, l’énergie et le logement – et alimentaires ». La « pauvreté humaine », quant à elle, est présentée comme l’ « absence des capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite, mauvaise santé maternelle, maladie pouvant être évitée » [PNUD 2000a : 19]. La Banque mondiale distingue sommairement deux types de pauvreté : pauvreté absolue, et pauvreté relative. La pauvreté absolue correspond à un niveau de revenu nécessaire pour assurer la survie des personnes. En général, ce seuil est calculé en fonction d’un régime alimentaire de base. La pauvreté relative, quant à elle, reflète une conception plus axée sur la répartition des revenus ; elle signifie avoir « moins que les autres ». Cette notion renvoie au niveau de revenu nécessaire pour participer et vivre dans une société particulière (logement, habillement…). De manière générale quelle que soit la définition considérée, la pauvreté réfère à la non-satisfaction des besoins vitaux comme l’accès à la nourriture, l’eau potable, les vêtements, le logement et le chauffage. Le terme "pauvreté" est relatif à celui de richesse, et fait référence aux situations d'inégalités économiques et politiques entre individus et entre sociétés. Les sciences économiques tentent d'expliquer l'existence de la pauvreté, ainsi que les mécanismes de l'accroissement de la richesse. La pauvreté est une cause majeure de souffrance.

3.5- Sécurité alimentaire

Le concept de sécurité alimentaire fait référence à la possibilité physique, sociale et économique qu’ont tous les êtres humains, en tout temps de se procurer de la nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. Le concept de sécurité alimentaire comporte quatre dimensions ou pilier : l’accès, la disponibilité (quantité suffisante), la qualité et la stabilité. L’accès est la capacité de produire sa propre alimentation, de disposer des moyens de le faire, ou la capacité d'en acheter (disposer d'un pouvoir d'achat suffisant pour le faire). La disponibilité se réfère à la quantité suffisante d'aliments provenant soit de la production locale, soit des importations ou d'aides). La qualité faite référence à des aliments et des régimes alimentaires nutritionnels et sanitaires, mais aussi à des aliments sociaux-culturels. La Stabilité renvoie à la dimension temporelle de la disponibilité et ou de l’accessibilité a des aliments et des régimes alimentaires de qualité..

IV- Cadre théorique

4.1- Théorie du bien-être

Pigou dans son ouvrage, l’économie du bien-être (Welfare Economics), s’interroge sur la répartition optimale des revenus pour favoriser la croissance économique la plus rapide possible. C’est dans ce cadre qu’il a repris l’analyse orthodoxe des salaires. Dans la foulée de Marshall, Pigou a été l’un des précurseurs de l’économie de l’environnement en inventant ce qui est connu aujourd’hui comme le principe pollueur-payeur : lorsqu’un agent est responsable d’un effet externe négatif, le coût social que supporte la collectivité est supérieur au coût privé que supporte l’agent pollueur, et la différence est égale au désagrément subi par les victimes de la pollution (ou de l’effet externe négatif). Si l’État intervient et, par le moyen d’une taxe, impose au pollueur de réparer les dégâts qu’il a causés, l’écart entre coût social et coût privé est éliminé, et les décisions que prend chaque acteur sont alors optimales, puisqu’il y a identité entre ce qu’elles coûtent au producteur et à l’ensemble de la société. La taxe devient donc un moyen d’éliminer une défaillance du marché.

Une des conséquences de la théorie de bien-être de Pigou telle que décrite, l’intervention de l’Etat est appelée à faire croitre la production, tout en prenant en compte la préservation de l’environnement en internalisant ses effets négatifs dans l’objectif d’une augmentation du bien-être. Le bien-être économique, reposant sur deux propositions fondamentales plaide aussi en faveur d’une augmentation de la production. Premièrement selon Pigou (1908), tout accroissement de la somme disponible des biens économiques va dans le sens d’une augmentation du bien-être. À partir de cette proposition, il semble que l’augmentation de la production agricole conduirait au bien-être. La seconde, quant à elle, se veut aussi de nature positive et montre qu’étant donnée l’utilité décroissante du revenu ou de la richesse, tout transfert de richesse des plus riches aux plus pauvres qui n’a pas pour effet de décourager et donc de diminuer la production représente un accroissement de bien-être. L’état ne peut pas redistribuer ce qu’il n’a pas, cette proposition suggère donc, d’augmenter la production afin d’améliorer le sentiment général d'agrément, d'épanouissement que procure la pleine satisfaction des besoins du corps et/ou de l'esprit.

Fondamentalement, la sécurité alimentaire (l’accès à l’alimentation) constitue une condition nécessaire à l’existence et dans une plus large mesure au bien-être. L’un des piliers pour atteindre la sécurité alimentaire est la quantité suffisante et nécessaire de nourriture. Donc en ce sens, le maintien du bien-être dans les pays développés et son amélioration pour la franche des populations vivant dans les pays en voie de développement faisant face au problème d’insécurité alimentaire nécessite l’augmentation de la production agricole. D’après la FAO pour parvenir à la sécurité alimentaire, il faut accroître au maximum la production alimentaire et la création d'emplois pour chaque mètre cube d'eau utilisée, qu'il s'agisse d'agriculture irriguée ou pluviale. Selon la FAO, près d'un milliard de personnes vivent à l'heure actuelle dans des conditions dites de pauvreté absolue, avec un revenu inférieur à un dollar des Etats-Unis par jour. La plupart souffrent d'un état de faim chronique. Dans les pays en développement, plus d'un enfant sur quatre a un poids insuffisant, une proportion qui passe à un enfant sur deux dans les plus pauvres de ces pays. Ces enfants sont très exposés aux maladies, et nombreux sont ceux qui ne parviennent jamais à l'âge adulte : dans les pays en développement, la malnutrition est la cause profonde de plus de la moitié de la mortalité infantile. Quant aux survivants, qui deviennent adultes, ils se retrouvent aux prises avec un avenir souvent marqué par la faim, l'impossibilité de se loger, l'analphabétisme et le chômage.

Bien que le nombre de personnes victimes de la faim ait diminué d'environ 5 pour-cent depuis le début des années 90, presque 800 millions de personnes souffriraient encore de la faim dans les pays en développement et environ 30 millions dans les autres pays. La diminution de l’insécurité alimentaire se fait grâce au système d’agriculture intensive. De ce qui ressort de l’état actuel du problème de la faim et de la pauvreté la nécessité de prioriser le productivisme agricole demeure pertinente et encore plus lorsqu’elle s’inscrit dans la logique de la durabilité à travers les mécanismes de marché, guidés, si nécessaire, par une politique environnementale, assurent alors une gestion efficace du capital naturel et permet de conserver la capacité globale (capacités de production, de connaissances, d’innovation, d'équipements, de compétences) des sociétés humaines à augmenter la production de bien-être. Ainsi, le bien-être économique des générations futures serait, au minimum, égal à celui des générations présentes. La génération présente consomme des services environnementaux et des ressources naturelles, mais elle lègue en contrepartie aux générations futures davantage de capacités de production créées par les hommes. Contrairement au principe de durabilité forte réclamant la diminution de la croissance ne prenant pas en compte la nécessité d’augmenter la production afin de créer de la richesse et d’éradiquer le problème de la pauvreté pour la frange de la population du Sud, la théorie néoclassique du bien-être dans la logique de durabilité faible, est très soucieuse de l’environnement et prouve que l’augmentation de la production ne nuit pas durablement sur l’environnement. L’augmentation de la production dans l’objectif de satisfaire le bien-être de la génération présente, de réduire la faim est honnête et cohérent en prenant en compte les générations futures. Les travaux empiriques semblent corroborer ces propositions : la substitution entre les ressources naturelles qui se raréfient et celles qui sont abondantes s'est parfaitement réalisée. On le voit, dans cette version de la soutenabilité, qui est qualifiée de «faible», les contraintes qui pèsent sur la dynamique du système économique ne sont pas très importantes (Vivien, 2005).

4.2- L’hypothèse de la courbe de Kuznets

Selon la courbe de Kuznets, l’augmentation de revenu fait baisser les pressions sur l’environnement. En effet, à des niveaux de revenus très faibles, la quantité et l’intensité des dégradations environnementales d’origine anthropique se limitent à l’impact des activités économiques de subsistance. À mesure que l’agriculture s’intensifie, que la population s’urbanise et que les industries entament leur décollage, l’extraction accélérée des ressources naturelles et les rejets massifs de polluants accentuent la pression sur les écosystèmes naturels. Cependant, à mesure que s’améliorent les conditions de vie matérielles, les individus sont en mesure de sacrifier une partie de leurs revenus monétaires en faveur de l’environnement. La société a suffisamment de capital pour orienter une partie de ses investissements vers la diminution de l’empreinte écologique des processus productifs. Les gains en efficacité sont supposés être assez grands pour renverser le sens de la relation entre la croissance économique et la dégradation environnementale. En fait, cette forme en U inversé est la conséquence indirecte de l’augmentation des revenus individuels.

D’après André Meunié (2004), ceux-ci agissent par le biais de l’impact des conditions de production, de l’évolution de la demande, et de l’influence des revendications politiques. Cette hypothèse se fonde sur trois effets structurels. Le premier effet est celui d’échelle stipulant qu’un accroissement de l’activité économique conduit, en lui-même, à une pression plus forte sur l’environnement. Plus de production nécessite plus d’inputs et crée plus de déchets et d’émissions polluantes, car ce sont là des produits joints. À ce stade, les individus doivent s’assurer l’accès aux biens de première nécessité. Ils se focalisent sur l’amélioration de leur bien-être matériel en ne prêtant que peu d’attention aux conséquences environnementales.

Le deuxième effet appelé effet de composition préconise qu’à mesure que les richesses s’accumulent, la structure du système productif évolue. Les parts des secteurs dans le PIB ont une influence déterminante sur l’intensité des dégradations que la croissance économique fait subir au milieu naturel, mais au-delà d’un seuil de développement, la société tend à augmenter la part des activités plus « propres ». Dans un premier temps, le passage d’une économie rurale à une société urbaine et industrielle aggrave les rejets polluants. Mais le déclin de la part des industries lourdes intensives en énergie et l’émergence des secteurs des services intensifs en technologie et en capital humain desserrent la contrainte écologique en exerçant une action baissière sur l’intensité en émissions du PIB. Arrivé à ce niveau, avec le progrès des conditions de vie, l’argument écologique fait son entrée dans la fonction d’utilité. Autrement dit, les aménités environnementales doivent être assimilables à un « bien normal », c’est-à-dire que l’élasticité-revenu de la demande de qualité environnementale doit être supérieure à zéro. Si cette dernière est un « bien de luxe », la tendance est accentuée. Leurs préférences poussent les individus à acheter des biens plus « verts ». La production agrégée de biens intermédiaires et de biens de consommation continue de croître. Ces industries ne disparaissent pas, au contraire, toutes choses égales par ailleurs, les émissions totales continuent donc d’augmenter.

Le dernier effet suppose qu’à partir d’un certain niveau de richesses, une nation peut consacrer une partie de son capital aux activités de R&D et en particulier vers une meilleure efficacité, d’où l’effet technique. Sous la demande des citoyens, les États créent des institutions pour mieux combattre les « faillites » environnementales de marché, érigent des taxes de type pollueur-payeur, distribuent les subventions pour encourager des modes de production soutenables, orientent les innovations par des normes réglementaires, etc.

De ce qui découle du fondement théorique de la courbe de Kuznets, la solution au problème de la dégradation de l’environnement serait l’augmentation de la croissance économique, c’est-à-dire l’augmentation de la production. En plus de la nécessité d’améliorer le bien-être des personnes vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, l’augmentation de la production agricole contribuerait à résoudre le problème de la dégradation de l’environnement dont on lui reproche. Si cette théorie est reprochée parce qu’elle est empiriquement vérifiée seulement pour des polluants aux effets locaux, elle a l’avantage d’être cohérente à la production agricole dont les effets polluants sont majoritairement locaux. La question d’irréversibilité de certains dommages que les théoriciens de la décroissance avancent pour exiger une diminution de la production est discutable. En effet, selon un rapport de l'Organisation Météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), la couche d'ozone est en train de se réparer. Elle serait même reconstituée d'ici 2050. Donc avec les innovations, il n’est qu’une question de temps, un dommage qui serait apparemment irréversible aujourd’hui ne le serait probablement pas dans le futur grâce aux activités de recherche et de développement. Le principe de précaution est aussi questionnable. Faut-il laisser des gens mourir de faim par précaution aujourd’hui et préserver l’environnement pour les générations futures ? Le gros bon sens ferait aussi demander pour qui cet environnement serait préservé si des populations sont décimées par la faim ? De plus, dans la plupart des cas, la pollution de l'eau habituellement attribuée à l’utilisation des engrais chimiques dans l’agriculture d'une nappe provoque de simples nuisances : l'eau est rendue impropre pour certaines utilisations (eau potable, eau agricole, eau industrielle), sans qu'il y ait un réel danger pour la santé (BALLERINI et al., 1998).

Graphique1 : Courbe environnementale de Kuznets

Source : manuel de TES Bordas

4.3- Théorie de l’innovation induite

La dégradation de l’environnement peut se corriger d’elle-même, d’après la théorie de l’innovation induite, la rareté des ressources ou l’accroissement des coûts privés ou sociaux générés par la dégradation induisant le développement et l’utilisation de nouvelles pratiques agricoles et de gestion des ressources. Selon cette théorie, la dégradation peut être économiquement rationnelle jusqu’à un certain niveau, et dans de nombreux cas, être réversible grâce à des changements appropriés en termes de technologie, gestion et arrangements institutionnels. En effet, avec l’augmentation de la population ou la pression sur le marché pour une ressource naturelle donnée, la dégradation s’accentue et atteint un niveau maximum sur le plan économique après un certain temps. Comme la valeur (ou rareté) des ressources augmente, la rentabilité pour les investissements techniques, institutionnels ou autres investissements des ressources de base augmente à son tour. Après un certain temps, les bénéfices des investissements de ressources deviennent supérieurs aux coûts générés par ces investissements et la maintenance ou la réhabilitation des ressources est alors relancée. Cette théorie implique clairement qu’on peut secondariser la préservation de l’environnement par rapport à l’augmentation de la production agricole. Ruthenberg (1980) a réalisé une revue de littérature sur les systèmes agraires dans les tropiques rapportant de nombreuses innovations agricoles qui sont associées à la croissance de la population ou sa densité et l’accroissement de l’intégration des marchés dans les différentes zones agroécologiques . Les changements des techniques observés pour les cultures et la gestion des sols par l’augmentation de la rareté des terres et la dégradation de la fertilité des sols sont aussi expliqués par Ruthenberg. Des processus similaires d’intensifications récentes largement endogènes ont identifié et décrit par Scherr et Hazell (1994). Ces derniers identifient et mettre en évidence les rôles joués par les facteurs technologiques, institutionnels et politiques dans les choix de mode de développement rural et d’utilisation des ressources naturelles.

4.4- La théorie du surplus : Réservoir de main-d’œuvre agricole, carburant de la croissance économique.

Selon Lewis, les pays en développement sont caractérisés par la présence d'une économie duale. Dans ces pays coexistent un secteur traditionnel (l'agriculture et les activités informelles), avec un surplus de main-d'œuvre, et un secteur moderne (les industries capitalistes) fonctionnant sur le mode capitaliste : le profit permet de financer l'investissement. La migration de main-d’œuvre provenant du secteur traditionnel vers le secteur moderne tire l’économie, et les profits générés par le secteur moderne créent la croissance et l’accumulation de capital qui financent l’expansion. L'élément moteur du "take-off" c'est l'investissement du secteur capitaliste qui doit permettre une accumulation élargie et une résorption du sous-emploi. Le secteur traditionnel, disposant d'une main-d'œuvre bon marché et en quantité suffisante, sert de réservoir à l'industrie. En effet, selon cette théorie, une transition économique réussie implique un flux continu de ressources de l'agriculture vers l'industrie. Ce transfert de ressources dépend des facteurs structurels affectant la demande, des productivités marginales du travail, du progrès technique, de la dotation des secteurs en facteurs de production et du rôle des politiques publiques. La transition agricole s'appuie sur des facteurs structurels affectant la demande. L'amélioration de la productivité agricole permet une baisse des coûts de production agricole, qui se traduit par une baisse des prix relatifs agricoles. En effet, selon la loi d'Engel, l'élasticité revenu de la demande de produits alimentaires étant inférieure à 1, l'amélioration de productivité dans l'agriculture profite à l'industrie : la baisse des prix agricoles n'est pas intégralement absorbée par une augmentation équivalente de la demande en produits agricoles, qui se reporte sur les produits industriels. Une augmentation des revenus se traduit alors par une augmentation de la demande des produits industriels et des services et une diminution des prix relatifs des biens alimentaires. Cela facilite beaucoup le transfert de la main-d’œuvre agricole excédentaire vers le secteur industriel, dans lequel la productivité marginale de la main-d’œuvre est positive. La transition agricole est un élément essentiel de la croissance. Selon Berthelier et collaborateurs (2005), l'agriculture était considérée comme un élément majeur dans la modification et l'amélioration de la structuration des économies dites aujourd’hui des pays développés. Le rythme de la transition agricole s'explique surtout par la dynamique de l'accumulation de capital dans l'économie, la politique agricole des États et l'investissement en capital humain. Les investissements se concentrent d’abord dans le secteur agricole, et à mesure qu’un pays se développe le poids du secteur agricole dans les économies diminue en transférant leurs ressources (en main-d'œuvre et en capital) vers l'industrie, puis le tertiaire, un cycle vertueux de croissance a pu être engendré. En augmentant la richesse, mais également en veillant à sa répartition entre individus, les pays se sont dès lors développés. D’après cette théorie, la meilleure façon pour qu’un pays se mettre sur la voie de développement consiste à augmenter la production et notamment la production agricole qui est l’élément moteur de la croissance économique. En augmentant la croissance, on réduit la pauvreté ce qui conduit également à la réduction du problème de la faim dans les pays en voie de développement.

Graphique 2 : Courbe de la production agricole de la théorie du surplus de Lewis

4.5- Les Etapes de croissance de Rostow

Rostow également a fait ressortir l’importance de l’augmentation de la production agricole dans le processus de développement des pays. Selon Rostow, le processus de développement suit cinq étapes linéaires. La société traditionnelle, les conditions préalables au démarrage (ou décollage), le démarrage, la société industrielle et la société de consommation.

La société traditionnelle n’est pas une société figée, incapable d’une quelconque progression. L’homme a toujours pu mettre en culture de nouvelles terres, augmenter la productivité de son industrie ou repousser les limites du commerce. Cependant, ce qui caractérise le plus la société traditionnelle, c’est que « le rendement potentiel par individu ne peut dépasser un niveau maximum.

La deuxième étape se caractérise par de profondes mutations dans les trois secteurs non-industriels : les transports, l’agriculture et le commerce extérieur. On assiste à la mise en place de structures favorables au développement notamment par le développement du système bancaire et la création de l'infrastructure nécessaire au développement industriel. Rostow souligne le rôle "moteur" dévolu au secteur agricole qui par les gains de productivité qu'il enregistre permet de nourrir une population croissante, assure les exportations nécessaires à l'équilibre des échanges extérieurs et autorise la réunion des conditions nécessaires au développement industriel. « Dans le domaine des échanges extérieurs, le changement se manifeste par l’augmentation des importations, financée par la meilleure mise en valeur et l’exportation des ressources naturelles ou encore l’importation de capitaux ». Il met aussi en exergue, la capacité innovatrice de l’homme à faire face aux nouvelles contraintes. On pourrait penser sans doute qu’il a pris en compte les probables contraintes environnementales.

Le décollage se caractérise par le renversement des obstacles et barrages qui s'opposaient à la croissance régulière. Les facteurs de progrès économique, qui jusqu'ici n'ont agi que sporadiquement et avec une efficacité restreinte, élargissent leur action et en viennent à dominer la société. La croissance devient la fonction normale de l'économie. Les intérêts composés s'intègrent dans les coutumes et dans la structure même des institutions. Cette étape cruciale est d’une durée d’une à deux décennies.

La quatrième étape est une période de progrès soutenu au cours de laquelle la croissance gagne l’ensemble des secteurs de l’économie et on assiste à une mise en œuvre plus générale des techniques modernes. Cette étape est caractérisée notamment par un nouvel accroissement du taux d'investissement qui passe de 10 à 20 pour-cent du revenu national, une diversification de la production et une modification de la structure de la population.

La dernière étape de la croissance de la croissance selon Rostow par la production de biens de consommation durables et les services deviennent progressivement les principaux secteurs de l'économie. Les objectifs de la société évoluent vers la consommation et le bien-être.

Cette théorie met évidence le lien étroit existant entre le bien-être et la croissance économique. Si la croissance économique n'est pas la condition suffisante au bien-être, mais elle est la condition fondamentale, il ne peut pas avoir de bien-être sans la croissance, c’est-à-dire sans l’augmentation de la production, notamment la production agricole, telle est démontrée par les étapes de croissance de Rostow vérifiées empiriquement pour nombreux pays (Grande-Bretagne, USA). On peut comprendre clairement à partir de cette théorie pour quoi, le problème de la faim persiste encore dans les pays en développement.

Graphique 3 : Les étapes de croissance de Rostow

V- Discussions empiriques

La place de la croissance dans le développement est indiscutable. L’agriculture constitue l’une des premières activités économiques, sa place dans le développement économique est prépondérante que ce soit dans les théories ou dans les études empiriques, l’augmentation de la production agricole est une condition nécessaire au développement. Les pays développés connaissent moins de problèmes de pauvreté et d’insécurité alimentaire. Selon la Banque Mondiale, la pauvreté se concentre en Asie de l’Est/Pacifique, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne. C’est dans ces régions que se contrent les pays en voie de développement. La concentration grandissante de la pauvreté mondiale en Afrique subsaharienne est préoccupante selon la Banque mondiale. Tandis que certains pays d’Afrique sont parvenus à faire reculer la pauvreté, la région dans son ensemble a pris du retard par rapport au reste du monde. En Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté serait passé, selon les estimations et les prévisions, de 59 % en 1990 à 35 % en 2015. Tout retard de la croissance ou diminution de la croissance selon la Banque Mondiale compliquerait la lutte contre la pauvreté. D’où l’intérêt d’augmenter la production pour stimuler la croissance et réduire le niveau d’insécurité alimentaire dans ces pays. Il est constaté que les régions où se concentrent les pays pauvres l’insécurité alimentaire est prépondérante. Selon le PAM, actuellement les pays en développement représentent 98 pour-cent des personnes sous-alimentées dans le monde.

Graphique 4 : Concentration mondiale de l’insécurité alimentaire

Source FAO, 2014

Un rapport des organismes des Nations-Unis (FAO, PAM, FIDA) sur l’état de l’insécurité alimentaire en 2015 montre une baisse considérable de personnes sous-alimentées dans le monde. En effet, au cours de la période 1990 - 2015 la quantité de personnes sous-alimentées dans le monde est passée de plus d’un milliard à 795 millions de personnes. N’en déplaise aux adeptes de la décroissance, selon ce rapport la croissance économique a joué un rôle déterminant dans le ce recul de la quantité de personnes la sous-alimentés durant cette période. Le taux de croissance des PED s’est d’ailleurs élevé en moyenne à 3,4 % entre 1990 et 2013. On a ainsi pu observer qu’au sein des pays pauvres, un accroissement des revenus s’accompagnait d’une augmentation de l’ « apport énergétique alimentaire ». Le rapport mentionne, par exemple, à ce propos le cas du Ghana, qui a connu sur la période un taux de croissance annuel moyen supérieur à 3 %. Or, la part de la population sous-alimentée dans ce pays est passée de 47 % en 1990-1992 à moins de 5 % en 2012-2014. À l’instar des théories de développement évoquées dans la partie théorique, ce rapport de la FAO, confirme que l’augmentation de la production agricole est la principale clef du succès enregistré contre la faim. Une étude de la Banque mondiale en 2006 confirme également que l’augmentation de la production conduit à la réduction de la pauvreté. En effet, cette étude montre qu’il y a une corrélation positive entre le niveau de la pauvreté et l’augmentation de la production agricole (rendements). Quand le niveau de la production est faible, le niveau de la pauvreté tend à stagner et voire même augmenter.

Graphique 5 : L’augmentation de la production agricole et réduction de la pauvreté

Banque Mondiale, 2006

La croissance économique de la Chine de 1978 à 2010 s’accompagne d’une réduction du taux de pauvreté de la population. La pauvreté a été surtout réduite suivant le graphique suivant grâce à l’augmentation de la production agricole.

Bureau nationale de Statistiques Chine, 2011

L’hypothèse de la courbe environnementale de Kuznets se trouve empiriquement vérifiée dans le cas des émissions de certains gaz à effet de serre comme le SO2, CO2. Malgré que les USA et la Chine soient les deux plus grands pollueurs du monde, la quantité de gaz à effet de serre libérée dans l’atmosphère est plus ou moins stable depuis un certain temps et on constate qu’avec la hausse du revenu de la population une relative diminution de ses types de polluants. Ce qui confirme l’hypothèse de Kuznets à savoir que la croissance économique a certes tendance dans une première phase à accroitre la dégradation de l'environnement jusqu'à un pic de pollution, puis, grâce à l'augmentation du revenu par habitant, l'impact environnemental de la croissance décroit.

Graphique 6 : Emission de SO2 aux USA

Source : Thierney, 2009

Graphique 7 : Emission de SO2 et de CO2 en Chine

Source : Source : Thierney, 2009

VI- Conclusion

Avec la prise en compte des externalités négatives dans les calculs économiques, notamment les effets négatifs de la production sur l’environnement, l’objectif poursuivi par l’augmentation de la production s’inscrit dans la logique du développement durable. Les théories et les faits empiriques concordent bien pour montrer que la croissance est le meilleur moyen pour combattre les deux grands fléaux du monde à savoir la pauvreté et la faim. La réduction de la production en priorisant la préservation de l’environnement est une utopie si on veut réellement lutter contre l’insécurité alimentaire. La logique de la durabilité faible en inversant les thèses prônant la décroissance, affirmant que la croissance n'est pas la cause des problèmes environnementaux, mais constitue au contraire, une solution face à ces difficultés semble être beaucoup plus réaliste. Les activités de recherches et de développement ont permis aujourd’hui par exemple à l’industrie de l’automobile de passer progressivement aux pots catalytiques, aux carburants sans plomb et aux moteurs moins voraces en énergies. L’histoire de l’humanité à diverses époques de son évolution a déjà défiée les prédictions pessimistes et alarmantes par l’ingéniosité des hommes à innover. Les progrès techniques et les innovations ont permis de réduire significativement la faim dans certaines régions du monde. Pourquoi vouloir diminuer la production alors que la population mondiale selon les projections moyennes aujourd’hui réalisables, augmentera de moitié dans les 50 ans à venir. Si aujourd’hui quelques rares principes de la décroissance seraient applicables dans les pays développés, il demeure toutefois primordial de prioriser l’augmentation de la production et surtout dans les PED, notamment la production agricole, car l’agriculture est moteur de croissance et de lutte contre la pauvreté et la faim. Si on appliquait indistinctement la théorie de la décroissance, et a fortiori sans limite, à tous les types de productions et à toutes les populations du monde, il y aurait lieu de demander aux promoteurs de la durabilité forte que fait-on du présent des personnes mourant de faim et vivant dans l’extrême pauvreté ? Pour qui préserver l’environnement alors qu’il n’y aurait plus de personnes. Les théoriciens de la décroissance auraient-ils entendu parler de l’histoire de l’enfant vautour ? S’ils regardent la photo ci-dessus ils concluent que l’augmentation production doit être une priorité.

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